Une virée dans les Cévennes
C’est pas parce qu’on doit se rendre dans un coin beau mais inaccessible en transport en commun qu’on va se dégonfler et céder à l’appel de la bagnole : au contraire, c’est l’occasion de tracer un bel itinéraire au milieu des chataigniers et des rivières sauvages, en évitant la circulation automobile… et de passer 10 jours à vélo (et quelques heures en train) !
L’idée générale : prendre son temps…
A trop vouloir rester sur les itinéraires balisés qu’offrent le maigre réseau de pistes cyclables en France (voir cette cartographie des itinéraires cyclables en Europe ), on se sent vite très contraint dans le choix des destinations. Car sortir de ces voies aménagées et sécurisées, c’est s’exposer au danger bagnolesque, et ça, quand on se déplace avec des enfants, ça refroidit quand même sérieusement… Et même, sans aller exposer des bambins qui, après tout, n’ont rien demandé, qui n’a pas déjà serré les fesses en étant doublé·e par un camion et en se disant que la vie ne tient pas à grand chose… ? Une solution, quand on a le luxe d’avoir un peu de temps devant soi, est d’accepter de faire des tours et des détours et d’emprunter ces petites routes, chemins et pistes qui maillent le territoire français : des voies de communication souvent héritées d’une époque, pas si lointaine, où la bagnole n’avait pas encore tout envahi.
Pour notre part, on n’hésite pas à aller voir les copains ou la famille en combinant train et vélo (ou marche) pour arriver à destination en quelques heures, y compris quand ça ne prendrait qu’une heure ou deux en bagnole. Mais cet été, à l’occasion d’une cousinade organisée au pied du Mont Aigoual, dans les Cevennes (à Valleraugue, dans la haute vallée de l’Hérault, pour être précis), on a tenté l’aventure d’un vrai voyage selon cette philosophie “plus c’est lent, plus c’est bon” dans le beau mais rude pays cevennol. Là, où la plupart des cousins-cousines avaient mis quelques heures en voiture, on volontairement pris 4 jours pour venir et encore 6 autres jours pour rentrer : du grand n’importe nawak !
A la recherche de l’itinéraire le plus tchoukar
Une différence entre l’approche voiture et la nôtre, c’est clairement le temps de préparation en amont : dans le premier cas, il est en général nul, ou pas loin, quand l’itinéraire est calculé par un algorithme et que le pilote se laisse guider par son GPS, alors qu’il y a quand même quelques bonnes soirées de consultation de cartes et d’horaires de train ou de car, de coups de fil et de creusage de méninges pour la solution “cyclo-p’tites routes”.
Concrètement, la première étape était déjà de fixer la portion faisable en train (qui accepte les vélos : donc TER ou Intercités), voire en car. Pour préparer ça, et comme la plupart des sites web ne gèrent pas un tel trajet, entièrement en TER, c’est clairement plus simple, et agréable, d’aller en causer avec quelqu’un au guichet d’une gare : profitons-en tant qu’il en reste ! On a donc décidé d’arriver à Alès, qui a la chance d’être encore desservie par une voie ferrée, et qui est accessible depuis Grenoble avec trois changements (à Valence, Avignon et Nîmes) et environ 6h de trajet au total (donc une bonne heure et demie d’attente en gare, ce qui est plutôt confortable, et agréable quand des pins à pignons parsèment les quais, comme à Avignon !).
Une fois qu’on sait où on débarque en train, reste à déterminer où on passe à vélo, avec les principes de base suivants :
- on évite les itinéraires trop bagnolés, c’est-à-dire qu’on privilégie les plus petites routes possibles ou les pistes et, quelque soit le type de voie, on emprunte des réseaux secondaires quand il y en a…
- on bivouaque dans des “p’tits coins peinards”, en camping sauvage, que ce soit au bord d’une rivière, dans un champs, sur un stade, ou même au bord de la route (si elle est tranquille), avec comme mot d’ordre : s’adapter à l’imprévu !
- et on se met à la hauteur des enfants, en termes de distance (au maximum 5 h de pédalage dans la journée, pas trop de dénivelé… mais c’est dur dans les Cevennes), mais aussi d’envie de s’arrêter pour jouer dès qu’on voit un bout de rivière où patauger, un cailloux où grimper, quelqu’un avec qui papoter ou un oiseau à observer.
Avec cette philosophie en tête et les cartes Top25 de l’IGN en main (pas sur smartphone…), on a pu tracer un bel itinéraire, dont la premère journée a constitué un concentré (et que vous pouvez à peu près suivre sur la carte ci-dessous, ou directement sur Géoportail : partis à 16h de la gare d’Alès, on a traversé la ville, puis enjambé le Gardon pour démarrer la partie “aventure” de l’itinéraire par une route raide sur laquelle on a poussé les vélos (mais quand on a le temps, c’est aussi du plaisir… quand ça ne dure pas trop !) avant de poursuivre sur un étroit sentier à plat. Ensuite, après une courte section de route pourrie on s’est engagé dans un chouette vallon, pour finir par une piste typiquement cevennole : défoncée. Bivouac de rêve, au bord d’un paysage ravinés -les roubines- que les enfants se sont empressés d’aller parcourir dans tous les sens : ça c’est de la cyclo-vadrouille tchoukar !
Morceaux choisis de 10 jours de vadrouille
On se jette à la flotte pour éviter la circulation !
Si le lendemain de cette 1ère journée s’est déroulé de nouveau en partie sur des petites routes et des pistes, on a fini par arriver (par une miniscule route grignotée, miam, par la forêt et nichée au fond d’un vallon paradisiaque) sur LA route pérave du coin, qui relie Anduze à Saint Jean-du-Gard : du lourd, surtout quand au trafic habituel de camions et bagnoles se mèle le flot des vacanciers… Et là, ce qui nous a sauvé, c’est le camping : situé en bord de rivière, il nous a permis d’accéder à la berge du Gardon (d’Anduze, celui-là) et de le traverser à pied (c’est la photo en haut de la page) ! Quelques minutes plus tard, après s’être faufilé au milieu d’un embouteillage bloquant tout le petit bourg d’Anduze, on casait les vélo dans un wagon vide, en queue du train à vapeur qui nous amenait ensuite à Saint-Jean-du-Gard.
L’effet inattendu du train touristique
Un truc qu’on avait pas anticipé, c’est que ce train rempli à ras bord de sympatiques touristes, crachant une fumée noire en se faufilant joyeusement dans la vallée, c’était presque autant de voitures en moins (probablement plusieurs centaines) sur la route ! Donc, Saint-Jean-du-Gard était complètement à l’opposé d’Anduze, à l’autre bout de la voie ferrée : libre de voiture ! Et, pour nous, l’effet kisscool, ça a été de pouvoir poursuivre notre bonhomme de chemin par la seule route possible de la vallée du Gardon (de Saint Jean cette fois-ci) avec un trafic très correct. Je crois qu’à partir de là, et des deux arrêts baignade en rivière enchaînés en 3h, on s’est vraiment senti partir dans une aventure à notre mesure…
ZE bivouac de notre périple
De Saumane, on a quitté la vallée du Gardon par une petite piste en balcon pour s’engager dans une vallée sauvage, où l’âme des Cevennes remplissait tout : les versants pleins de châtaigniers, des murets en pierres sèches, le ksss ksss des grillons et des cigales, de hautes maisons de l’époque des cultures de vers à soie, et une belle rivière d’autant plus sauvage qu’elle avait connu une très forte crue en septembre 2020. Bien beau tout ça, mais quand la fin de journée approche, qu’on a 25 bornes et 300 m de déniv dans les (petites) pattes et qu’aucun lieu de bivouac ne se profile malgré l’abondance de terrains sauvages (souvent enclos), le moral peut commencer à baisser… C’est sans compter sur le hasard, ou la chance (le destin ?!), qui met sous nos roues un vieux pont en pierres, sans doute abandonné depuis plusieurs dizaines d’années, probablement depuis que la route trace tout droit au lieu de tourner au pied du village. Ce vestige touchant et élégant d’une époque où les déplacements se faisaient encore à un rythme humain ou animal, est presqu’entièrement végétalisé : un lieu idéal pour poser notre tente pour la nuit. Et tout un symbole quand on milite pour remettre en cause la place de la bagnole dans notre monde !