Les amis du camper-van


Il n’y a pas que les SUV qui envahissent nos rues : le camion aménagé, version moderne et branchée du camping-car, devient de plus en plus courant, prisé notamment par les jeunes urbains. Qu’on parle de fourgon, de camion ou de van, qu’importe, tant qu’on peut y dormir et se perdre dans la nature… Petit tour d’horizon critique des causes et des contradictions d’un loisir motorisé comme un autre, bien en vogue notamment dans la place grenobloise.


Si l’on veut tenter de comprendre les causes de ce phénomène sociologique qu’est le van lifestyle par chez nous (en l’occurrence, ce billet est inspiré par la situation grenobloise), il peut être intéressant d’aller scruter du coté de nos imaginaires, lesquels s’ancrent à la fois dans des représentations collectives de ce qu’est le bonheur individuel, et dans des décennies de pratiques massivement adoptées par la plupart de la population. En remontant le temps jusqu’au sortir de la 2nde guerre mondiale, on mesure facilement qu’après des années de privations, la France a goûté au parfum enivrant de cette liberté nouvelle de parcourir à loisir, le temps d’une journée, d’un we ou des vacances, leur région, le pays ou même le monde grâce à la voiture. Ce que nos aieuls ne percevaient sans doute pas, c’est que la prolifération de la voiture individuelle et l’extension des infrastructures permettant sa circulation allaient profondémment remodeler nos territoires, engageant toute la société vers un mode de vie dont les impacts négatifs sont escamotés face au plaisir individuel.

Or, depuis que la bagnole s’est immiscée dans nos vies, et qu’elle est devenue l’instrument de nos envies d’évasion, de détente ou de ressourcement, force est de constater que son usage participe, plus ou moins indirectement, à artificialiser nos villes et nos campagnes à coup de rues goudronnées, de routes et d’autoroutes, de parking et de zones commerciales, d’eaux souterraines contaminées et d’air vicié, sans parler de l’insécurité inhérente à ce mode de déplacement pour les piétons, cyclistes ou fauteuils roulants. Paradoxe bien connu, les villes et leurs périphéries, saturées de bagnoles et de moins en moins agréables à vivre au quotidien entraînent, mécaniquement, le besoin d’en sortir, de s’évader. Si le camping-car peut véhiculer une image un peu ringarde, voire carrément beauf', le camion aménagé est habilement vendu comme un moyen jeune, branché, parfois même teinté d’une aura hippie : idéal pour jouir sans entrave d’une nature idéalisée, mise à portée de moteur le temps d’un week-end ou des vacances.

Et, tout coincés que nous sommes par un imaginaire modelé par l’industrie automobile et par un individualisme de classe moyenne privilégiée, on peut aujourd’hui sans problème participer aux manif climat et souhaiter un monde décarboné et une ville sans bagnoles d’un coté, et de l’autre continuer à cramer du gasoil le we, pour le plaisir de se ressourcer. Ce grand écart, cette « dissonance cognitive » s’épanouit facilement dans une société où le tout-voiture est devenu la norme et où le plaisir individuel prend souvent le pas sur le bien-être collectif, les conséquences négatives de nos actes étant largement mises sous le tapis. Au mieux, ces dernières sont sensées être prises en charge par des politiques publiques adaptées, elles-mêmes souvent imprégnées de cette idée qu’on ne peut pas limiter, ou pas trop drastiquement, l’usage de la voiture, à la base du bonheur… Mais comment ne pas se rendre compte que la motivation même, le besoin initial qu’on cherche à satisfaire ici avec son van, sont fondés sur l’imaginaire du tout-bagnole ? En faisant dépendre ses loisirs et son bonheur de sa bagnole, on renforce non seulement cet imaginaire, mais on milite aussi activement contre les alternatives possibles. En effet, en l’état actuel, la bagnole domine dans la pratique et dans les têtes, et les autres modes de transport, collectifs ou actifs, ne sont pas (encore) capables de satisfaire des besoins qui ont, de toute façon, été dimensionnés par, et pour, la bagnole.

Il est donc aussi urgent de dévoiturer nos loisirs que le reste de nos vies, d’autant qu’il est a priori plus facile de changer ses pratiques de mobilité lorsqu’elles concernent l’occupation de son temps libre, plutôt que pour ce qui concerne le boulot, où les marges de manœuvres sont souvent faibles et le temps limité pour envisager des changements. Une évolution a priori à la portée des adeptes du camion aménagé, souvent des classes moyennes aisées et éduquées, sensibles aux enjeux sociaux et environnementaux : franchiront-ils le pas… ?

Une version initiale ce billet est disponible sur le site de Carfree France.